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#1601 Le 15/04/2020, à 18:58

Compte supprimé

Re : La p'tite heure du café philo

Flothereturn a écrit :
murph a écrit :
Flothereturn a écrit :

^^ J'ai eu la réponse à ce que je voulais : la plupart des délateurs sont venus participer. Mais ils sont pas fous, ils vont pas s'auto-dénoncer

. Ben je suis venu moi. Finalement je suis le seul à assumer.

lol On assume pas par ce qu'on dit, mais par ses actes. ;-) T'assumes beaucoup mieux ici. : D

Ah oui, lol. En même temps comme sur ce forum personne ne connais rien des actes des autres, y a pas de risque à raconter n'importe quoi. C'est l'avantage des réseaux sociaux. ;-)

#1602 Le 18/04/2020, à 05:15

Flothereturn

Re : La p'tite heure du café philo

murph a écrit :
Flothereturn a écrit :
murph a écrit :

.

lol

Ah oui, lol.

;-)

Hors ligne

#1603 Le 18/04/2020, à 20:56

Compte anonymisé

Re : La p'tite heure du café philo

Tristan Garcia : “Au lieu de nous unir, l’épidémie accentue ce qui nous différencie”

Alors que le discours politique insiste sur l’unité nationale à l’heure du confinement et de la lutte contre l’épidémie, le philosophe Tristan Garcia estime au contraire que la situation actuelle creuse les clivages économiques et identitaires.

En cette période d’épidémie et de confinement, le thème de l’union nationale est souvent brandi par les autorités. Pensez-vous que cette expérience nous rassemble ou qu’au contraire elle nous divise ?

Tristan Garcia : Beaucoup ont d’abord affirmé que la situation allait « tous nous rassembler ». On sent bien que c’est l’inverse qui se produit. Dès la deuxième semaine de confinement, l’idée d’une expérience commune à tous a commencé à s’effriter : elle ne tenait sans doute que parce qu’au début, seuls les plus privilégiés s’exprimaient. Très vite, on a vu qu’en réalité l’épidémie, au lieu de nous unir, accentue et révèle ce qui nous différencie. Cela vient confirmer une tendance de fond, à l’œuvre depuis le début du XXIe siècle : les grands discours d’union ou d’unité – les discours qui mobilisent un « nous » très large, qui disent en substance « nous sommes tous dans le même bateau » – tiennent mal, et de moins en moins longtemps. Souvenons-nous du slogan « Je suis Charlie » : il n’a pas duré longtemps. Il a vite servi, aussi, à rechercher qui ne l’était pas. La grande passion de l’époque n’est pas du côté de l’universel ; elle est du côté du particulier. La quête idéalisée de l’universel valait pour le XXe siècle ; désormais, l’attention se porte beaucoup plus rapidement sur les fractures économiques, sociales, identitaires.

En quoi sommes-nous divisés ? De quelle nature sont les fractures que vous évoquez ?

Pour répondre à la fable d’un destin commun, on a vu remonter des discours, des témoignages insistant sur les inégalités économiques et sociales qui se révèlent et se creusent dans l’expérience du confinement. Celui-ci rend particulièrement visibles les différences de classe. On repère les privilèges : qui a une résidence secondaire, et qui n’en a pas ? Qui a suffisamment d’espace vital pour vivre l’enfermement, et qui en manque ? Certaines logiques s’inversent, mais c’est pour mieux confirmer les écarts de condition. Ainsi, les plus favorisés étaient ceux qui bénéficiaient de la mobilité ; aujourd’hui, ils profitent en quelque sorte de l’immobilité, puisqu’ils ont les outils numériques pour télé-travailler. Ils vivent dans des lieux plus spacieux et compartimentés, qui leur permettent d’adapter leur quotidien à la situation. Dans le même temps, beaucoup des plus défavorisés sont comme condamnés à la mobilité. Toutes celles et tous ceux qui assurent l’infrastructure matérielle de notre monde – pensons aux chauffeurs routiers, aux livreurs… – doivent, moyennant une prise de risque, se déplacer pour aller travailler et permettre à l’économie de fonctionner. Mais on peut également penser à une autre lecture différenciée de nos expériences, celle du genre. D’un côté, ce sont apparemment davantage les hommes qui meurent du coronavirus ; de l’autre, certaines femmes témoignent pour dire qu’elles ont l’impression de revenir en arrière dans l’espace du foyer, d’être renvoyées et cantonnées aux tâches ménagères. Les fossés sont creusés plutôt que comblés : la surmortalité en Seine-Saint-Denis, comme la surmortalité noire aux États-Unis, révèle à la fois une plus forte vulnérabilité de populations racisées, le peu de médecins dans un territoire négligé, et le fait que les personnes sont plus touchées parce qu’elles sont plus pauvres et cantonnées aux emplois aujourd’hui surexposés au danger. Voilà pourquoi l’expérience ne donne pas lieu à un grand « nous », inclusif et réconcilié (le « nous » de la France confinée, et plus largement encore, le « nous » de l’espèce humaine contaminée), mais une multitude de « nous » plus resserrés (le « nous » de classe, le « nous » racisé) qui ne s’accordent pas, et parfois se déchirent. Ce n’est pas une guerre, comme l’a dit Emmanuel Macron, mais l’accentuation d’un sentiment de guerre. Ce n’est pas encore un état de guerre déclarée de « nous » contre « nous » – pour faire référence à la « guerre de tous contre tous » de Hobbes –, mais un climat de défiance entre les « nous » et les appartenances diverses qu’ils recouvrent.   

Vous évoquez un climat de défiance, mais n’assiste-t-on pas tout de même à des formes de solidarité et d’empathie – comme avec les applaudissements à 20 heures pour les soignants ?

Je ne voudrais pas apparaître trop pessimiste… Il existe évidemment des microsolidarités qui se développent à l’échelle d’un immeuble ou d’un quartier. On propose de s’entraider, on s’occupe des enfants d’une autre famille, on échange des savoirs, des compétences (un voisin ou une voisine explique comment faire un masque, etc.). Si ces solidarités locales et spontanées naissent et persisteront peut-être, je ne crois guère à un élan compassionnel collectif, dont l’un des symboles serait les applaudissements. Plus un « nous » s’étend, plus il perd en intensité et finit par devenir abstrait. Or les appels à la solidarité nationale visent à un élargissement de ce type (sur le modèle « nous sommes tous concernés »), qui, en réalité, rend les liens plus ténus, plus lâches. Je crois que les applaudissements, si cette pratique perdure, finiront par nous sembler de plus en plus abstraits, et peut-être même de plus en plus hypocrites. Aux applaudissements se mêleront des sifflets ou des slogans politiques hostiles au pouvoir. De manière générale, à mesure que le temps passe, la part de confiance et de solidarité va probablement baisser, et celle de défiance et de revendication augmenter. L’image qui me vient est celle de la cocotte-minute. Des individus sont pressurés psychologiquement, économiquement ; des impuissances, des colères enflent, se renforcent. Avec le déconfinement viendra le moment de la décompression, voire de l’explosion de ces rages accumulées.

Le déconfinement, justement, parlons-en. Comment voyez-vous le monde d’après ? Après la grande rupture, qu’est-ce qui va changer ?

L’expression du « monde d’après » est déjà omniprésente. Mais quelque chose me frappe : quand on parle d’un monde « avant » et « après » l’épidémie, on suppose que celle-ci constitue un événement qui viendrait couper l’Histoire en deux. Or, à y réfléchir, l’épidémie ne relève pas vraiment de cette catégorie de l’événement. Au XXe siècle et jusqu’au 11-Septembre, nous nous sommes habitués à lire le processus historique en identifiant ces ruptures violentes, quasi instantanées. En l’occurrence, il est peut-être nécessaire de se défaire de cette habitude de pensée, même si elle est tentante. Depuis la grande crise des subprimes, nous vivons davantage dans une logique de crise latente, permanente, et de gouvernement de la crise, que dans une logique de l’événement qui frapperait comme l’éclair. C’est long, c’est lent, parfois ça s’enflamme, parfois ça retombe, et il y a rémission.

La moitié de l’humanité confinée, cela ne représente pas un événement ? N’avons-nous pas affaire à un phénomène absolument inédit ?

Le confinement, puis le déconfinement sont bien sûr des mesures extraordinaires. Néanmoins, encore une fois, l’épidémie n’est pas tout à fait un « événement ». Car qu’entend-on par ce terme ? Pour Alain Badiou, par exemple, un événement est une coupure qui fend l’être, un surgissement imprévisible qui bouleverse l’ordre des choses – c’est comme une version laïcisée du miracle. Dans un sens plus commun, un événement est ce qui rompt une continuité, et qui ne dure pas. Que l’on prenne l’acception philosophique ou courante, on voit bien que cela ne cadre pas. Déjà, l’épidémie s’inscrit dans une durée, pendant laquelle la vie entière du pays ne s’arrête pas complètement. Ensuite, l’épidémie de Covid-19 n’est pas un phénomène inédit, dans la mesure où le monde a déjà connu des pandémies et en connaîtra d’autres. Nous sommes renvoyés à une conception cyclique du temps, à l’idée d’une répétition plutôt qu’à celle d’une nouveauté radicale. Nous sommes renvoyés au passé que nous avions cru dépassé, à la peste, à la grippe espagnole, plutôt qu’à un événement nouveau. Nous avons plutôt l’impression de renouer avec la vie de nos lointains ancêtres, avec leurs peurs, que de faire une expérience inédite du futur. Un événement c’est une rupture, une discontinuité porteuse d’avenir. Or, en ce moment, nous sommes tous rivés à des courbes continues (la courbe du nombre de cas, de morts…). Suivre une courbe, c’est raisonner en termes de trajectoires globales, d’inflexions. Donc, pour moi, la question n’est pas : « Qu’est-ce qui va changer, commencer, avec le déconfinement ? », mais plutôt « Qu’est-ce qui va continuer, s’infléchir ou s’intensifier, sur quoi va être mis l’accent ? » Plus qu’une catastrophe qui amènerait à tout repenser, j’interprète l’épidémie comme une crise qui va accentuer des tendances déjà à l’œuvre, de manière latente ou manifeste. Ce n’est pas une rupture ; c’est un approfondissement, une accélération ou une inflexion. Et il faudra choisir ce que l’on veut infléchir, ce que l’on veut accélérer.

En admettant donc que la situation n’est pas un événement au sens fort, à quelles tendances en voie de consolidation songez-vous, notamment sur le plan politique ?

La prospective est trop difficile. Et puis la crise varie tellement selon les pays. Je me limiterai à l’Europe, et à la France en particulier. Il me semble que nous risquons de nous orienter vers la tentation d’un « socialisme autoritaire ». Clairement, le discours néolibéral va devenir de moins en moins audible et recevable. Déjà on s’interroge sur la nécessité à terme de renationaliser, de relocaliser certaines industries indispensables à l’autonomie nationale. Cela fait maintenant une quinzaine d’années que la colère populaire à l’égard du néolibéralisme s’amplifie, et que monte, aussi bien à gauche qu’à droite, un désir de plus d’État, d’un État de nouveau responsable, soucieux de l’éducation et de la santé. Ce que nous vivons pousse encore un peu plus dans cette direction d’un socialisme rénové. Mais il y a aussi le pendant autoritaire… Comme on l’a déjà relevé ici ou là, il est à craindre que la situation ne débouche sur un renforcement des dispositifs de surveillance et de contrôle technologique des individus, sur le modèle chinois et grâce à des dispositifs qui n’ont cessé de se perfectionner – la géolocalisation des personnes par les portables ou la collecte des données via les objets connectés. Avec le renoncement au libéralisme, un pouvoir pourra très bien sacrifier du même coup des libertés fondamentales, au nom de la préservation des vies plutôt que des individus. Là, il faudra se montrer vigilant et aller combattre si l’on tient à la fois à l’idéal du commun et à la liberté de chacun.

Propos recueillis par Martin Duru

Source

Dernière modification par Compte anonymisé (Le 18/04/2020, à 21:00)

#1604 Le 19/04/2020, à 15:57

Compte anonymisé

Re : La p'tite heure du café philo

Victorine de Oliveira/ Philosophie Magazine Mars 2020 a écrit :

« Race et culture »

Presque 20 ans après sa conférence intitulée « Race et Histoire » (1952) au cours de laquelle il identifiait « le péché originel de l’anthropologie », qui consiste à confondre une supposition caractérisation biologique des races avec la notion autrement plus relative de culture, Lévi-Strauss retourne à la même tribune, le 22 mars 1971, pour enfoncer le clou avec « Race et Culture ».

Les deux textes divergent peu sur le fond. Lévi-Strauss s’appuie simplement davantage sur la génétique qu’il ne pouvait le faire dans les années 1950. Il se montre cependant plus pessimiste. Quand la première conférence soutenait la « collaboration des cultures », l’anthropologue craint à la fois leur uniformisation et suggère que l’animosité entre elles trouve sa source bien plus profondément que dans de prétendues différences ethniques.

Tout en prenant quelques notes, je viens de découvrir des extraits de ce discours dans un cahier central réalisé par Victorine de Oilveira dans le dernier numéro de « Philosophie Magazine » (mars 2020) intitulé « Où commence le racisme ? »

Le texte du discours intégral le voici : https://www.libertas.co/wiki/Race_et_cu … vi-Strauss

Bien prendre son temps car c'est dense et riche et ça suscite la réflexion ! tongue


Edit 1 : Cette intervention fit scandale. Accusé de défendre la xénophobie et le racisme Claude Lévi-Strauss se justifia, en 1983, dans la préface de Le regard éloigné.

Claude Lévi-Strauss a écrit :

Je m’insurge contre l’abus de langage par lequel, de plus en plus, on en vient à confondre le racisme et des attitudes normales, légitimes même, en tout cas inévitables. Le racisme est une doctrine qui prétend voir dans les caractères intellectuels et moraux attribués à un ensemble d’individus l’effet nécessaire d’un commun patrimoine génétique. On ne saurait ranger sous la même rubrique, ou imputer automatiquement au même préjugé l’attitude d’individus ou de groupes que leur fidélité à certaines valeurs rend partiellement ou totalement insensibles à d’autres valeurs. Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre et de la penser au-dessus de toutes les autres et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché. Cette incommunicabilité relative peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de chaque communauté se conservent, et trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement. Si comme je l’ai écrit ailleurs, il existe entre les sociétés humaines un certain optimum de diversité au-delà duquel elles ne sauraient aller, mais en dessous duquel elles ne peuvent non plus descendre sans danger, on doit reconnaître que cette diversité résulte pour une grande part du désir de chaque culture de s’opposer à celles qui l’environnent, de se distinguer d’elles, en un mot d’être soi : elles ne s’ignorent pas, s’empruntent à l’occasion, mais pour ne pas périr, il faut que, sous d’autres rapports persiste entre elles une certaine imperméabilité.


Edit 2
: une interview de Claude Lévi-Strauss par l’Express en novembre 2008 = https://www.lexpress.fr/informations/ar … 14140.html

Dernière modification par Compte anonymisé (Le 19/04/2020, à 15:59)

#1605 Le 03/05/2020, à 15:26

Flothereturn

Re : La p'tite heure du café philo

murph a écrit :
Flothereturn a écrit :
murph a écrit :

(Et puis, Onfray... roll )

C'est quoi le problème avec Onfray ?

L'athéisme chrétien.

Oui et ?

Par ailleurs, en quoi ses croyances et convictions remettent en cause de façon définitive sa critique de la société ?

Dernière modification par Flothereturn (Le 03/05/2020, à 15:28)

Hors ligne

#1606 Le 04/05/2020, à 06:24

Compte anonymisé

Re : La p'tite heure du café philo

@ La Flore et à murph : ne vous prenez surtout pas au sérieux et si vous pouviez nous en remettre une couche de votre petit débat muet en langage des signes, moi j'ai trouvé ça très drôle. lol

Sinon, en rapport philosophique avec la crise actuelle :

Bonjour,

Ces dernières semaines, j’ai beaucoup voyagé. Oui. Je me suis perdu dans le dédale des temples bouddhistes à Pagan, en Birmanie. J’ai sillonné la brumeuse et fantomatique Skeleton Coast en Namibie. J’ai flâné au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, où j’ai notamment admiré le tableau Le Combat du tigre et du buffle peint par le douanier Rousseau. Ces pérégrinations m’ont procuré un vif plaisir… depuis mon canapé bien sûr, voguant d’une vidéo, d’une visite virtuelle à une autre. Mais, à présent, la question me taraude : quand pourrai-je voyager de nouveau, en vrai ?

Cet été, c’est hautement compromis, pour ne pas dire mort : les trajets longue distance sont d’ores et déjà déconseillés, avec le risque d’être placé en quarantaine à l’aller comme au retour. Dans une étude parue à la fin du mois de mars, l’Organisation mondiale du Tourisme prévoyait une chute de 20 à 30 % du tourisme mondial sur l’année 2020... Alors pour juillet-août, je commence à me faire une raison – et je sais qu’il y a autrement plus grave que mes déceptions de backpacker rêvant d’autres pays que le mien. Mais pour après ? L’épreuve que nous traversons ne va-t-elle pas modifier en profondeur notre rapport au voyage ?

Depuis un moment, tout vol sur une compagnie aérienne est suspecté de relever de la nuisance écologique. C’est ce que l’on appelle dans les pays scandinaves le “flygskam”, la honte de prendre l’avion en suédois – tiens, la Suède, une idée de destination… Cependant, d’autres émotions que la honte pourraient bien entrer en jeu, à commencer par la peur : de crainte d’attraper un virus, nous n’aurons peut-être plus la même attitude sur les marchés et autres stands de street food de par le monde. Se développerait une phobie de l’inconnu, du lointain. Et nous deviendrions au long cours ce que nous avons été pendant le confinement : des voyageurs immobiles. 

Cette expression me fait penser à Gilles Deleuze. Dans son Abécédaire, le philosophe confie qu’il n’a “aucune sympathie pour les voyages”. Il trouve même cela un peu “con”. Il ne ressent ni le besoin ni le désir de bouger : “Moi, toutes les intensités que j’ai, [ce sont] des intensités immobiles.” Dans sa pensée, Deleuze privilégie la vitesse par rapport au mouvement, au déplacement physique dans l’espace. La vitesse, c’est “être pris dans un devenir” (Dialogues) : c’est faire l’expérience d’autres possibilités de vie, être saisi par des affects inédits qui nous débordent, nous emportent ailleurs. Or on peut très bien sortir de soi en restant sur place ; l’écriture permet une telle échappée pour Deleuze, qui fait aussi référence aux “voyages spirituels” – peut-être mis en orbite par quelque(s) substance(s)…

Soit. Quelque chose résiste, pourtant. Difficile de mettre de côté les apologies, tant philosophiques que littéraires, du voyage mobile – réel. Je songe à l’une d’elles, émise par un ami de… Deleuze, l’écrivain Michel Tournier. Sédentaire, ayant rédigé une grande partie de son œuvre dans le même presbytère de la vallée de Chevreuse, l’auteur de Vendredi ou les Limbes du Pacifique s’autorisait néanmoins des escapades lointaines, du Canada au Japon, en passant par le Sahara – tiens, le Sahara. Selon lui, le dépaysement allait de pair avec un “repaysement” de soi : “Éponge, pierre ponce, les milieux étrangers m’envahissent et me modifient massivement. Pour moi chaque voyage amorce une mue en profondeur” (Voyages et Paysages). Là où Deleuze joue sur le registre de la vie intellectuelle et créatrice, Tournier choisit une image biologique, organique, pour dire la transformation intérieure qui s’opère en nous lorsque nous voyageons. Et pour changer vraiment de peau, il faut sentir, toucher et être touché par le monde en chair et en lieux.

On l’aura compris : même si le voyage immobile m’intrigue, je me sens plus du côté de Tournier que de celui de Deleuze. Mais, en attendant d’assouvir ma pulsion de monde, je retourne à mes virées virtuelles – où irai-je cette fois ?

De leur côté, les “Carnets de la drôle de guerre” reviendront dès lundi à la réalité. En vue du déconfinement, nous poserons une question piquante : l’éventuel non-respect des futures règles devra-t-il être considéré comme un jeu inconscient avec sa santé et celle des autres, ou, au contraire, comme un geste salutaire de désobéissance civile, pour reprendre le concept du penseur américain Henry David Thoreau ? Un débat ouvert avec les philosophes Frédéric Gros et Pierre-Henri Tavoillot.

Martin Duru

Dernière modification par Compte anonymisé (Le 04/05/2020, à 06:24)

#1607 Le 04/05/2020, à 06:46

Compte supprimé

Re : La p'tite heure du café philo

jackpot a écrit :

@ La Flore et à murph : ne vous prenez surtout pas au sérieux et si vous pouviez nous en remettre une couche de votre petit débat muet en langage des signes, moi j'ai trouvé ça très drôle. lol

- T'as pas compris ?

#1608 Le 04/05/2020, à 07:54

Compte anonymisé

Re : La p'tite heure du café philo

#1609 Le 04/05/2020, à 16:44

Compte anonymisé

Re : La p'tite heure du café philo

Frédéric Gros/Pierre-Henri Tavoillot. La désobéissance civile peut-elle être légitime face à l’urgence sanitaire ?

Formulé au XIXe siècle par le philosophe Henry David Thoreau, le principe de la désobéissance civile n’a cessé d’inspirer les luttes pour les droits civiques. Mais, aujourd’hui, cette notion peut-elle être mobilisée pour remettre en question les injonctions sanitaires ? Les philosophes Frédéric Gros et Pierre-Henri Tavoillot s’opposent et livrent leurs arguments.

“OUI. À défaut de pouvoir désobéir, nous devenons des automates”
Frédéric Gros

« Le combat contre la pandémie oblige à une réduction drastique des libertés publiques, principalement la liberté de circulation, mais aussi le droit au rassemblement, y compris privé. Le déconfinement s’accompagnera d’obligations complémentaires : port du masque dans les transports, etc. Contrevenir à ces dispositions signifie une menace pour la santé des populations et la vie des plus fragiles. Le respect de ces mesures relève dès lors du civisme élémentaire. En conclure que toute désobéissance serait injustifiable paraît cependant disproportionné et dangereux. 
L’état d’urgence sanitaire ne doit pas devenir un levier pour culpabiliser toute forme de contestation en la jugeant irresponsable – la pente est d’autant plus glissante qu’on peut aisément requalifier tout acte de désobéissance en comportement criminel. Or le sens critique ne peut être suspendu. Obéir en citoyen, c’est se donner des raisons d’obéir. Se donner des raisons d’obéir, c’est se trouver des raisons de désobéir. Autrement, comme l’écrivait Thoreau dans son opuscule sur la résistance civile, nous devenons des “automates”
J’entends ici et là dire qu’il sera toujours temps après. Mais cet après est par trop indéfini. La bataille contre le virus ouvre une temporalité sans délai dans laquelle les dirigeants politiques devront se tenir sous l’horizon des nécessités médicales, jusqu’à la découverte d’un vaccin. La possibilité de désobéir peut dès lors d’autant moins être a priori disqualifiée qu’on se trouve, avec cette crise, au début d’une histoire longue dans laquelle cette nécessité médicale risque de devenir l’unique source de légitimation politique. Certes, on imagine mal comment des actions concertées et concrètes de désobéissance civile (marches de protestation collectives pacifiques) pourraient raisonnablement avoir lieu. Mais la désobéissance politique tient aussi dans la vigilance et le refus d’avaler des couleuvres (création d’un fichier, sans leur consentement, des malades du Covid-19 ou susceptibles de l’être). Elle peut consister à rappeler d’autres nécessités tout aussi pressantes : sociales, relationnelles, amoureuses… Que des désobéissances ponctuelles et raisonnables se produisent ne me paraît pas scandaleux, qu’il s’agisse de bénévoles brisant la distanciation sociale pour assister des SDF ou de jeunes amoureux se retrouvant pour une promenade. 

Le civisme, c’est bon pour les riches ?

La cruelle nouveauté de cet état d’urgence tient dans le fait qu’il s’agit d’exprimer sa solidarité en gardant ses distances et en restant chez soi. Il a produit ceci de particulier qu’un confinement confortable a permis à des milliers de privilégiés de retraduire leur égoïsme en souci des autres et de faire des leçons de morale calés depuis leur fauteuil de jardin. Pour paraphraser Alain, on est bien obligé d’admettre que, dans certaines situations, le civisme, c’est bon pour les riches. C’est un mythe de croire que les situations de pandémie nous mettraient à égalité. Cette crise, plus qu’aucune autre, creusera les inégalités sociales, jusqu’à un point intolérable. 
Le déconfinement sur ce point n’arrangera pas les choses. Certes il s’agit de combattre une maladie, une épidémie, laquelle se traduit sous forme de statistiques macabres. Cette objectivation nécessaire ne doit pas pour autant finir par la faire apparaître comme une pure fatalité naturelle, extérieure, malheureuse. Que, dans l’effroi, nous nous découvrions responsables, chacun en tant que corps, de sa diffusion, ne doit pas nous faire oublier d’autres responsabilités. Désobéir, c’est aussi commencer par cela : dénoncer dans la crise sanitaire le produit d’une histoire et le résultat de choix politiques passés (vision à court terme, diminution constante des moyens des services publics, etc.) qu’il faudra condamner et refuser demain. »



“NON. La désobéissance est superflue en démocratie”
Pierre-Henri Tavoillot

« La crise sanitaire que nous traversons ne justifie ni moins ni plus la désobéissance. Le contexte ne change la question qu’à la marge. Pour moi, fidèle à la tradition de la philosophie politique républicaine, la citoyenneté est une obéissance volontaire. Comme le dit Rousseau lui-même : “Un peuple libre obéit mais ne sert pas. Il a des chefs, il n’a pas de maîtres.” Traduisez : c’est parce qu’il obéit aux lois qu’il n’obéit pas aux hommes. 
Toute une tendance, ces dernières années, a fait du “désobéisseur”, du lanceur l’alerte, de l’homme révolté (même si ces formules ne sont pas exactement synonymes) le héros de la citoyenneté, comme si sa liberté se jouait dans la capacité de dire non. Ce travers me semble très périlleux en ce qu’il confond “obéissance”, qui est nécessaire à la vie collective, et “soumission”, qui est la transformation d’un individu ou d’un peuple en esclave. Or “obéir” vient du mot latin oboedire, c’est-à-dire “prêter l’oreille”, considérer la voix d’autrui. Prêter l’oreille n’est pas donner sa volonté, c’est accepter que la vie collective exige que je me taise bien que je ne sois pas d’accord. Faire de la désobéissance civile un principe démocratique risque ainsi de nous vouer à l’hyperindividualisme de nos petits vétos personnels. 
Ceci ne disqualifie pas bien sûr le droit naturel de résistance à l’oppression, qui figure à juste titre dans la Déclaration des Droits de l’homme et dans le préambule de la Constitution française. Mais l’article 7 reconnaît également le caractère coupable de toute résistance à la loi. Que l’état d’urgence sanitaire supprime nombre de nos libertés essentielles ne rend pas légitime de parler d’oppression puisque continuent d’exister les procédures démocratiques de recours et de contestation des décisions. 
Sommes-nous dans une situation exceptionnelle ? Oui, mais pas du point de vue de l’obéissance. Je vous concède que, lorsque c’est la santé, voire la survie collective qui est en jeu, l’obéissance devient légitimée de façon absolue. Nous pouvons même en éprouver le confort. Non que le confinement soit une situation facile à vivre pour tout le monde, mais c’est une situation simple : nos comportements sont entièrement réglés par des consignes qu’il suffit d’appliquer. 
 
Le silence des récalcitrants

Le déconfinement, avec des mesures différenciées, évolutives, risque d’être beaucoup moins confortable, et nous allons voir les dégâts, les inégalités, les tensions, l’angoisse réapparaître. On pourrait donc s’attendre à des revendications de désobéissance plus fortes. Je constate que ce n’est pas le cas comme si, face à des enjeux vraiment essentiels comme la santé, la gesticulation des discours indignés s’estompait. S’il y a des “désobéisseurs”, ils se cachent et ne vont surtout pas le proclamer. Pourquoi ? Parce que le débat continue de se dérouler : l’immense majorité des Français obéit au confinement tout en ne cessant de critiquer les politiques publiques sur les réseaux sociaux. Certains estiment que la santé ne doit pas devenir la cause suprême du bien commun, qu’elle vaut moins que les liens affectifs ou plus que l’économie. L’espace public continue de jouer son rôle, puisque, par exemple, le gouvernement, sous la pression populaire, a renoncé à confiner davantage les personnes selon un critère d’âge. 
La désobéissance est donc un principe superflu, puisque la démocratie offre toutes les procédures pour contester des décisions et faire valoir des arguments opposés. En revanche, nous devrions davantage actionner un autre principe démocratique, essentiel et prévu par la loi en état d’exception : la nécessité, une fois la crise passée, de rendre des comptes sur les politiques menées. Non pas dans l’objectif d’un procès à nos dirigeants mais dans celui d’évaluer sérieusement les mesures prises, leur validité, leur justification, les failles de notre système. Cette évaluation n’a pas été faite pour l’état d’urgence décrété à la suite des attentats terroristes. Il faut réclamer qu’elle ait lieu en temps voulu après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Si nous savions pratiquer cette exigence démocratique, cela nous épargnerait cette démagogie de la désobéissance, qui, à mon avis, ne se justifie jamais en soi et peut détruire la vie collective. »

Propos recueillis par Catherine Portevin

#1610 Le 05/05/2020, à 18:33

Flothereturn

Re : La p'tite heure du café philo

murph a écrit :
jackpot a écrit :

@ La Flore et à murph : ne vous prenez surtout pas au sérieux et si vous pouviez nous en remettre une couche de votre petit débat muet en langage des signes, moi j'ai trouvé ça très drôle. lol

-

...

Hors ligne

#1611 Le 06/05/2020, à 14:39

Compte anonymisé

Re : La p'tite heure du café philo

Tu as entendu murph ? La Flore te relance ! lol lol lol

#1612 Le 06/05/2020, à 15:33

sucarno

Re : La p'tite heure du café philo

pas trop le temps, il  est fort occupé à compter ...

Dernière modification par sucarno (Le 06/05/2020, à 15:37)


« Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». Étienne de La Boétie

Hors ligne

#1613 Le 06/05/2020, à 16:27

Compte anonymisé

Re : La p'tite heure du café philo

... quoi déjà ? lol

#1614 Le 06/05/2020, à 18:32

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Re : La p'tite heure du café philo

jackpot a écrit :

Tu as entendu murph ? La Flore te relance ! lol lol lol

? Toujours pas compris ?

#1615 Le 06/05/2020, à 18:45

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Re : La p'tite heure du café philo

Je crois qu'il y a un petit souci de communication entre vous deux depuis votre dernier clash. J'aimerais tant vous réconcilier ! J'aimerais tant que vous redeveniez potes comme autrefois ! lol

#1616 Le 06/05/2020, à 18:48

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Re : La p'tite heure du café philo

jackpot a écrit :

Je crois qu'il y a un petit souci de communication entre vous deux depuis votre dernier clash. J'aimerais tant vous réconcilier ! J'aimerais tant que vous redeveniez potes comme autrefois ! lol

- Ah ben non, tu ne comprends pas. Continue, c'est assez marrant de te voir ramer.

#1617 Le 06/05/2020, à 18:57

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Re : La p'tite heure du café philo

lol lol lol

#1618 Le 06/05/2020, à 19:30

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Re : La p'tite heure du café philo

lol
tongue

#1619 Le 07/05/2020, à 07:33

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Re : La p'tite heure du café philo

Confinée à Rome, alors qu’une partie de sa famille se trouvait au cœur du cyclone épidémique à Bergame, la romancière et philosophe italienne Ilaria Gaspari a ressenti le besoin de revenir à Épicure et à sa “Lettre à Ménécée”. Loin de l’indifférence à la mort que l’on retient habituellement de son enseignement, elle a trouvé dans la “médecine logique” du philosophe grec antique un remède à ses propres angoisses.

L’extrait de la Lettre à Ménécée d’Épicure
« Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l’immortalité. Car il ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n’y a rien de redoutable. On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort est à craindre non pas parce qu’elle sera douloureuse étant réalisée, mais parce qu’il est douloureux de l’attendre. Ce serait en effet une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l’attente d’une chose qui ne cause aucun trouble par sa présence.
Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus.
Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l’appelle comme le terme des maux de la vie. Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n’a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n’estime pas non plus qu’il y ait le moindre mal à ne plus vivre. De même que ce n’est pas toujours la nourriture la plus abondante que nous préférons, mais parfois la plus agréable, pareillement ce n’est pas toujours la plus longue durée qu’on veut recueillir, mais la plus agréable. Quant à ceux qui conseillent aux jeunes gens de bien vivre et aux vieillards de bien finir, leur conseil est dépourvu de sens, non seulement parce que la vie a du bon même pour le vieillard, mais parce que le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu’un. »
Épicure, Lettre à Ménécée (trad. Jean Salem)

Le commentaire d’Ilaria Gaspari
« Ces dernières semaines, je suis souvent revenue à Épicure [v. 341-270 av. J.-C.], notamment sur la question de la douleur et de la mort. Les nombreuses images de malades sous respirateur qui ont circulé dans les média m’ont hantée. Je vis à Rome mais je suis Milanaise d’origine, et une partie de ma famille vit à Bergame, où le Covid-19 a été particulièrement cruel (là-bas, le taux de mortalité a augmenté de 568 %). Mon oncle a été hospitalisé. Le reste de ma famille va bien mais a vécu une situation de fin du monde dans une ville absolument déserte, avec seulement les sirènes d’ambulances pour couper régulièrement le silence. 
Comme tout le monde, j’ai eu ma phase de boulimie d’informations : je voulais savoir tout ce qu’il se passait, tout en ayant du mal à me faire une opinion précise de la situation, sans parler d’imaginer l’après. J’étais en quelque sorte en crise, comme l’homme au temps d’Épicure. Épicure fonde son école dans un jardin à Athènes, après une période difficile d’errance. Plus globalement, les cités grecques ont alors perdu de leur influence, et Alexandre le Grand a uni la péninsule en un empire. C’est un véritable bouleversement. Quand un changement brutal survient et nous laisse désorienté, il est naturel de chercher des réponses. Autrement, la peur prend le dessus. Il faut donc trouver quelque chose qui nous en libère, parce que raisonner sous son emprise, c’est être esclave. 

Épicure conçoit sa philosophie comme une médecine de l’âme. On sait qu’il a été un grand logicien, mais ses traités sont perdus. Ne nous restent que quelques lettres. Son approche de la mort repose sur un raisonnement logique assez simple : il ne faut pas la craindre parce qu’elle suppose que nous ne sommes plus là, que nous ne sentons plus rien. Cela ressemble à une lapalissade, mais c’est ce qui en fait la beauté et l’efficacité. Pour vaincre mes propres angoisses, j’ai essayé de me concentrer sur cette médecine logique qu’est l’épicurisme. Épicure explique que la douleur trouve toujours son équilibre : si elle est très forte, elle ne dure jamais longtemps, et si elle dure longtemps, cela signifie qu’on peut la supporter. Je trouve que c’est vraiment une façon efficace de démonter les angoisses. Pour moi, du moins, cela a marché.

L’éthique d’Épicure et son indifférence face à la mort fonctionnent toutefois d’abord sur le plan individuel. Mais qu’en est-il du collectif ? Pouvons-nous nous affranchir collectivement de la peur de la mort ? Ces derniers mois, notre rapport à la mort a été bouleversé. En temps normal, la mort et la maladie sont des choses que nous chassons de nos pensées. À présent, nous sommes forcés d’y réfléchir. Nous avons été jetés dans un effort collectif pour préserver la vie, et c’est normal. Cependant, je trouve que l’idée de faire de la mort quelque chose de marginal par rapport à la vie est problématique. Épicure nous invite certes à y être indifférent, mais pas au sens où il ne faut plus y penser. Au contraire : il faut s’exercer, “prendre l’habitude d’y penser”, donc se familiariser avec son idée. Il a été question de tri dans certains centres hospitaliers, et c’est horrible. Comment choisir qui doit rester, qui doit partir ? Mais l’idée de privilégier la vie, peu importe les conditions dans lesquelles elle peut s’épanouir, est à mon avis dangereuse. Pourquoi est-il autant difficile pour notre culture, de voir la mort comme une autre partie de la vie, d’apercevoir la relation entre vie et mort en termes dialectique ?

C’est difficile à admettre, mais la sortie du confinement ne pourra pas se faire sans accepter qu’il y ait des morts supplémentaires, liés au fait que nous retournons progressivement à une activité normale. Parce que le confinement, à terme, pourrait être plus délétère encore ! Une de mes connaissances est sous chimiothérapie pour soigner un cancer. Elle tente de s’organiser avec d’autres malades graves parce que les soins sont actuellement difficiles d’accès. Tout est concentré sur le Covid-19, alors que des personnes souffrent d’autres pathologies. Et ce n’est pas évident pour elle de se faire entendre. Je ne dis pas du tout qu’il ne faut pas respecter le confinement, ou que c’était une mauvaise idée. Je l’ai respecté, et je ne crois pas qu’il faille revenir d’emblée à la vie telle que nous l’avons connue. Mais je crois qu’il faut faire des choix, et qu’à la fin, nous ne pouvons pas gagner collectivement sur tous les plans. Et c’est très difficile à dire, à accepter. C’est presque un blasphème ! Nous avons du mal à le formuler parce que nous avons énormément peur de la mort. C’est presque un tabou, qu’en temps normal nous ne faisons qu’effleurer, mais qu’Épicure peut nous aider à saisir à bras-le-corps. 

Il faudrait construire un véritable discours philosophique sur la mort, pour lequel Épicure peut être une base solide. Son idée de ne pas la craindre n’est pas une façon de la refouler, de l’évacuer comme on cacherait la poussière sous le tapis. Or j’ai l’impression que c’est ce que nous avons tendance à faire. Y compris ces derniers jours, quand nous tentons de préserver la vie à n’importe quelle condition. Spinoza aussi nous le dit : “L’homme libre ne craint rien moins que la mort”, avec l’idée que nous sommes une partie d’une substance plus grande que nous et que nous ne devons pas nous concevoir au centre. Cela résonne avec l’idée épicurienne de l’individu pris dans le tout du cosmos, dont il ne peut pas s’affranchir, qu’il ne maîtrise pas. La philosophie épicurienne est un outil logique pour ne pas être esclave de notre peur de la mort. Elle nous libère et nous permet d’agir. »

Dernière modification par Compte anonymisé (Le 07/05/2020, à 07:34)

#1620 Le 07/05/2020, à 08:08

side

Re : La p'tite heure du café philo

Jackpot qui ferait mine de se mettre à philosopher, ça vaut son pesant de cacahuète !

A peu près autant que GR34 faisant mine d'essayer de devenir gauchiste !
lol


« Je ne suis pas une adversaire de l’Europe, je me sens européenne. Je voudrais qu’il y ait des accords entre les nations librement consentis, c’est cette Europe-là que je veux voir émerger et je souhaite que la France soit à l’origine de ce beau projet, de cette belle initiative » - Marine Le Pen - 25 Avril 2017 - TF1

Hors ligne

#1621 Le 07/05/2020, à 12:36

Compte anonymisé

Re : La p'tite heure du café philo

side a écrit :

Jackpot qui ferait mine de se mettre à philosopher, ça vaut son pesant de cacahuète !

A peu près autant que GR34 faisant mine d'essayer de devenir gauchiste !
lol

En l'occurrence il ne t'aura pas échappé (mais en fait : si) que ce n'est pas moi qui me suis mis à philosopher dans ce cas mais Epicure et sa commentatrice Ilaria Gaspari.

Moi, nuance,  je m'intéresse simplement à ce qu'ils disent.

Pour le reste, je serais assez tenté de ramener ta très constructive intervention à l’équivalent d'un selfie ou, si tu préfères, à la fameuse allégorie de la caverne selon Platon.

#1622 Le 07/05/2020, à 13:03

Compte anonymisé

Re : La p'tite heure du café philo

Martin Legros a écrit :

Bonjour,

Il est des expériences que l’on a besoin de partager pour parvenir à les absorber. Celle-ci restera l’un des pires souvenirs de ma vie – bien que le terme de souvenir, avec ce qu’il suppose de continuité psychologique entre le passé et le présent ne convienne pas tout à fait. Disons un moment de vertige et de désarroi qui fut aussi une expérience métaphysique bouleversante. L’espace d’un instant, je me suis en effet retrouvé comme un somnambule éveillé, à la fois présent à moi-même et pourtant privé de tout repère. Avec une inquiétude sourde : cela pouvait-il durer indéfiniment ?

Au moment où l’incident est survenu, cela faisait six jours déjà que j’avais contracté le Covid-19. Isolé dans ma chambre, pour ne pas contaminer ma femme et nos quatre enfants, je cherchais par tous les moyens à apaiser des maux de tête d’une violence inouïe qui me perforaient le crâne, jour et nuit, depuis une semaine. Tous les autres symptômes – fièvre, chocs électriques dans les jambes, céphalées oculaires, sinusite – étaient supportables. Mais la pointe acérée ressentie dans le lobe gauche de mon cerveau doublée de la compression des veines de mes tempes engendraient une douleur d’autant plus vive qu’elle était permanente. Et je ne suis pas un novice en la matière, moi qui vis depuis près de vingt ans avec des migraines chroniques. Mais, justement, les traitements de fond habituels étaient devenus soit interdits soit inefficaces. Comme si ce virus avait identifié l’état des forces en présence dans mon organisme et ciblé ses attaques à l’endroit de la plus grande faiblesse. Aussi, lorsque mon ami Florin m’appela pour me faire part d’un vieux remède roumain contre les maux de tête engendrés par la grippe et qui consiste à se plonger dans un bain d’eau très chaude, à s’enduire ensuite de graisse pour se glisser au lit, sous une masse de couvertures, afin de transpirer abondamment, je ne résistai pas à la perspective de voir ce mal qui me rongeait depuis une semaine s’amenuiser, enfin. Sauf qu’à la sortie du bain, je fis un malaise, perdis connaissance et tombai de tout mon long, à deux reprises, sur le carrelage de la salle de bain, en m’ouvrant le crâne…

Au réveil, ma femme, inquiète, m’interrogeait : “Mon amour, sais-tu où tu es ? — Non, je ne sais pas où je suis. — Sais-tu ce qu’est le Covid ? — Le Covid ? Non, c’est quoi ?”, lui dis-je tout en comprenant que j’aurais dû le savoir et que ma santé mentale avait partie liée avec cet acronyme. J’étais dans le brouillard. Pour me raccrocher au réel, j’essayai de me rappeler le nom de mes enfants ou la configuration de leur chambre. Je parvenais bien à en dessiner mentalement certains traits, comme le lit de mon fils dans le coin gauche, mais celui de ma fille, à droite, restait flou et l’ensemble ne se raccrochait plus à l’espace environnant. Je ne savais plus si j’étais à Paris, à Bruxelles ou ailleurs. Les mots ne se fixaient plus aux choses. Comme le terme de “Covid”, ils flottaient dans une insignifiance abstraite. Les choses, elles, n’étaient plus à la place que leur conféraient les mots. Et j’avais le sentiment qu’il dépendait d’un effort intellectuel et volontaire de ma part pour qu’ils s’ajustent à nouveau et que le monde reprenne corps. En attendant, tout était informe. Quant à moi, j’en étais réduit à occuper ce pur point de contact instantané avec moi-même, privé de toute épaisseur temporelle. 

Dans ses Méditations métaphysiques, après avoir enclenché l’entreprise du doute et remis en question l’existence de tout ce qui l’entoure, Descartes décrit l’expérience du “je pense”, du cogito, comme celle d’une chute – “comme si j’étais tombé inopinément dans un profond trou d’eau” – et d’un trouble physique – “je suis tellement troublé que je ne puis ni prendre pied dans le fond, ni remonter à la nage jusqu’à la surface”. Ayant perdu tout appui, ne pouvant plus tabler sur aucun souvenir, aucune croyance, aucune opinion pour s’assurer de l’existence du dehors, le sujet ne peut plus se rattacher qu’à sa propre pensée. “Elle seule ne peut être détachée de moi. Je suis, j’existe, moi ; cela est certain. Mais combien de temps ? Bien sûr, autant de temps que je pense ; car peut-être même pourrait-il se faire, si je n’avais plus aucune pensée, que, sur-le-champ ,tout entier, je cesserais d’être.”

Alors, bien sûr, l’expérience de Descartes est le produit d’une décision, celle d’un sujet souverain qui doute de tout, forge la fiction d’un Malin génie, rusé et trompeur, et trouve dans la résistance à cette hypothèse la certitude de sa propre existence. Tandis que c’est malgré moi que mon malin génie, le Covid, s’est emparé de mon cerveau et m’a privé de mon assise dans le monde. Je reste cependant convaincu que, l’espace d’un instant, j’ai rejoint Descartes et fait, pour la première fois de ma vie, l’expérience concrète, intérieure, abyssale de ce qu’il entendait par le cogito : soit, cette épreuve où tout – moi, le monde aussi bien que Dieu, s’il existe – ne reposait plus que sur la force de ma pensée. Et, comme Descartes, je me suis alors demandé : “Si je cessais de penser, cesserais-je sur le champ d’exister ?”

#1623 Le 07/05/2020, à 14:12

side

Re : La p'tite heure du café philo

jackpot a écrit :

Moi, nuance,  je m'intéresse simplement à ce qu'ils disent.

lol


« Je ne suis pas une adversaire de l’Europe, je me sens européenne. Je voudrais qu’il y ait des accords entre les nations librement consentis, c’est cette Europe-là que je veux voir émerger et je souhaite que la France soit à l’origine de ce beau projet, de cette belle initiative » - Marine Le Pen - 25 Avril 2017 - TF1

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#1624 Le 07/05/2020, à 15:04

GR 34

Re : La p'tite heure du café philo

side a écrit :

Jackpot qui ferait mine de se mettre à philosopher, ça vaut son pesant de cacahuète !

A peu près autant que GR34 faisant mine d'essayer de devenir gauchiste !
lol

D'après tes derniers écrits je suis en mesure d'affirmer que je suis bien plus à gauche que toi ! Tu as bien caché ton jeu pendant des années, tu ne tromperas plus personne maintenant, t'es carrément autant à gauche que macron !

Dernière modification par GR 34 (Le 07/05/2020, à 15:05)


Karantez-vro...  Breizhad on ha lorc'h ennon !
«Les animaux sont mes amis. Et je ne mange pas mes amis.» George Bernard Shaw
https://www.l214.com/

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#1625 Le 07/05/2020, à 16:37

side

Re : La p'tite heure du café philo

GR34 a écrit :

Tu as bien caché ton jeu pendant des années

lol

Le növo-gauchoïde du forum est hi-la-rant.


« Je ne suis pas une adversaire de l’Europe, je me sens européenne. Je voudrais qu’il y ait des accords entre les nations librement consentis, c’est cette Europe-là que je veux voir émerger et je souhaite que la France soit à l’origine de ce beau projet, de cette belle initiative » - Marine Le Pen - 25 Avril 2017 - TF1

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