#326 Le 02/06/2017, à 16:09
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Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
« Baïkal-Amour, dans l'autre transsibérien » d'Olivier Rollin.
J'aime les récits de voyages relatifs à la traversée de la grande Sibérie en train. Celui-ci se lit très bien et fourmille d'anecdotes, parfois sombres et désolantes, parfois légères et gaies avec en arrière-plan les images d'environnement et d'infrastructures souvent déglinguées, avec des humains croisés parfois indifférents, brutaux, impavides et souvent ivres. Quelquefois plus sympathiques et spontanés aussi, heureusement ! Et puis le morne déroulement de ces paysages monotones mais qui finissent par être fascinants aussi. Avec derrière tout cela, à peu près partout, des terres empreintes des restes millions d'hommes prisonniers du Goulag et ayant contribué à la mise en valeur de ces zones inhumaines...
Un passage m'a frappé :
« Ce qui est étrange c'est que la civilité n'est pas interdite aux Russes. La preuve c'est qu'il y en a des tas qui sont charmants, attentionnés, généreux. On en a rencontré plein au cours de ce voyage. (…)
Il y a d'autres pays, certes, où on est volontiers mufle – la France, par exemple. Mais cela atteint rarement cette densité, ce caractère minéral qu'on observe en Russie. Cela n'en vaudrait pas la peine d'en parler (sinon pour s'amuser un peu) si on ne pouvait y lire la trace, non seulement des souffrances inouïes endurées par ce peuple, mais plus profondément encore d'un véritable modelage des âmes effectué par des dizaines d'années de l'arbitraire le plus féroce. (…) C'est une véritable « révolution culturelle », plus sinistre encore que la chinoise, parce que plus durable, qua effectué le système du Goulag, enracinant pour des générations des habitudes de brutalité et d'inattention aux autres. »
#327 Le 02/06/2017, à 17:35
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Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Un jeune japonais de 20 ans à la vie assez terne poursuit des études sans grande conviction. Pour se faire un peu d'argent, il travaille dans un bar et prépare des cocktails. Ryô - c'est son prénom- est un personnage assez étrange : rien se semble l'intéresser, même les filles et le sexe. Il paraît désabusé et démotivé. Pourtant, un jour, la gérante d'un club de femmes « cougars » passe au bar et le remarque. Elle a plus de la quarantaine, elle semble très froide et désabusée, elle aussi. Mais ils font connaissance et elle lui propose de passer une sorte de « test » avec une jeune fille du club (qui n'est d'ailleurs- on l'apprendra plus tard- que sa propre fille, muette depuis la naissance). C'est que cette patronne a décelé un certain potentiel dans ce jeune homme qui, après pas mal de réticences va se révéler être une excellente recrue pour ce genre de club. Suivent alors les récits de ses relations érotiques détaillées avec des dames japonaises (parfois jeunes, parfois nettement moins jeunes), le tout sans vulgarité et même : avec un certain détachement « zen » qui montre bien qu'on est dans une toute autre culture concernant le sexe tarifé, une culture exempte du regard réprobateur et culpabilisant judéo-chrétien. Ryô devient même assez vite le partenaire préféré de ces dames, contre toute attente, justement parce que son naturel, sa bienveillance et sa simplicité séduisent sans qu'il n'ait jamais à vraiment forcer son talent d'homme - d'homme-objet certes, mais d'homme-sujet aussi, et cela assez souvent - ce qui rend l'approche intéressante. Petit à petit, Ryô finit par apprécier son nouveau métier et ce qui le motive et le fascine au fil du temps c'est l'exploration du continent sensuel et sexuel féminin, qui lui paraît infiniment plus complexe et varié que celui de son propre sexe.
C'est bien écrit, ça se lit facilement, c'est à la fois réaliste et envoûtant. J'ai passé un assez bon moment.
« Call-Boy » Ishida Ira (roamn traduit du japonais par Rémi Buquet)
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#328 Le 04/06/2017, à 06:28
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Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Je termine "L'homme de Kiev" de Bernard Malamud, un livre vraiment intense et désespérant mais très fort. Je n'ai pas sauté une seule page.
Résumé :
Un homme juif, simple réparateur de son état, puis gérant d'une petite briqueterie de Kiev, est arrêté en 1911. On l'accuse d'être l'auteur d'un « meurtre rituel », qui a eu lieu sur la personne d'un jeune garçon du voisinage.
Cette absurde accusation le tient deux ans et demi en prison, au cours desquels il subit les pires sévices, avant que s'ouvre le procès qui fera éclater son innocence.
Bien que partant d'un fait historique précis, la célèbre affaire Bellis, Bernard Malamud ne se livre pas seulement à une superbe reconstitution de la Russie de Nicolas II, ravagée par les superstitions et les persécutions virulentes, les violences et les dissensions. Vivant symbole de victimes de toutes les injustices, son héros, par son obstination à porter témoignage de la vérité, fait éclater l'histoire dans le mythe et devient notre contemporain
#329 Le 05/06/2017, à 15:58
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Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Hôzuki : un petit livre de 140 pages d'Aki Shimazaki : dévoré en quelques heures. Envoûtant. Avec un sacré coup de théâtre à la fin.
#330 Le 28/06/2017, à 07:18
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Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Un très très bon polar : « Le Doute » de S.K Tremayne (c'est un pseudo). Là pas de crime sanglant, pas de cadavre en décomposition au début de l'histoire ni d'assassin psychopathe à retrouver par un enquêteur caractériel, pas ce genre de package routinier à devoir subir pendant plus de 300 pages, non rien de tout ça.
Non, ici l'histoire se passe en famille : un couple (Angus et Sarah) et leurs jumelles, Lydia et Kirstie. L'une des deux (oui mais laquelle au juste ? ) est victime d'un accident banal mais mortel (chute du haut d'un balcon) dès le début de l'histoire et le couple s'auto-détruit à partir de cette disparition sur la question des responsabilités parentales à partager au sujet des circonstances de cette tragédie si la gamine avait été mieux surveillée.
En plus, la jumelle rescapée sait manifestement des choses étranges au sujet des circonstances de cet « accident ». Et elle ne cesse de dire à ses parents qu'elle n'est pas celle que ses parents croit qu'elle est, qu'elle revoit sans cesse sa sœur défunte, qu'elle prétend même parfois l'être tout en la fuyant en même temps. Tout cela en devenant complètement asociable et pas du tout scolarisable ce qui pose de graves problèmes à ses parents.
Ce qui est captivant c'est aussi le décor de ce polar : une île perdue à l'extrême nord de l'Ecosse que le couple rachète au large de l'île de Sky où le couple décide d'aménager dans un vieux cottage pourri laissé à l'abandon, parfois occupé par des squatters qui l'ont vite fui pour y avoir cru voir des fantômes, un cottage sans connexion, sans eau ni électricité, tout à retaper, dans un endroit difficilement accessible, sans cesse battu par les vents et la pluie.
Bref un thriller psychologique à 100 %, un thriller « d'ambiance » aussi en raison du cadre où il se joue avec de chouettes descriptions de l'environnement où, personnellement, je n'aimerais pas trop passer mes vacances.
Super polar donc qui donne envie de découvrir un autre opus de ce même auteur : « Apparences ».
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 28/06/2017, à 07:19)
#331 Le 04/07/2017, à 04:55
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Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Bosnie centrale, 1995 : Lionel, chef de l'expédition, Maud, Alex, Marc et Vauthier le mécano organisent un convoi d'aide humanitaire d'une ONG de Lyon au cœur d'un pays en guerre. Leurs motivations réelles sont en fait très diverses et constituent le clou du roman. Alex et Marc, deux anciens militaires ayant déjà été en mission auparavant dans le pays dans le cadre de l'ONU, vouent une haine tenace aux aux deux humanitaires Lionel et Maud, les deux « bleus », pour qui cette expédition est une première. Maud, la seule jeune femme du groupe doit se faire une place dans ce groupe d'hommes et elle y parvient en forçant très vite leur respect. Quant à Vauthier, le mécano, c'est le mec détestable de la bande, toujours bon à railler tous les autres, toujours dans une forme de haine qui l'anime jour et nuit. En fait Vauthier semble surveiller les quatre autres : bizarre, ça. Ne serait-il que mécano ? Au cœur d'un pays en guerre où le danger et la mort rôdent à chaque check-point les haines finissent par éclater entre ces 5 personnages et le convoi humanitaire se perd dans une vraie dérive où tous les idéaux se retrouvent à nu et vains. Un vrai thriller psychologique mais pas que, merveilleusement mis en musique par ce chouette écrivain qu'est Jean-Christophe Ruffin : « Check-Point ». J'ai vraiment aimé : un bon 3 étoiles !
#332 Le 06/07/2017, à 05:54
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Vous aimez les descriptions récurrentes de cadavres en décomposition (option : décomposition avancée et même : très avancée) avec tout ce qui pullule autour ? Vous êtes interpellés par ce que les employés des pompes funèbres nomment « les oubliés », ces gens solitaires et sans famille qui vivent anonymement auprès de voisins qui ne s'en soucient pas, sauf lorsqu'ils finissent par être dérangés par une odeur pestilentielle ? Vous craignez vous-même de finir comme ça ? Voilà le bouquin qu'il vous faut.
« L'odeur que dégage un cadavre humain va bien au-delà de la pestilence. Il y a dans cette exhalaison quelque chose d'inacceptable. La promesse de notre propre mort à venir. »
Sauf que le cadavre en décomposition avancée d'une morte anonyme et solitaire concerne ici celui d'une femme qui fut extrêmement belle et qui connut même un petit moment de célébrité dans sa jeunesse grâce à un film, un seul (car son héroïne retomba aussitôt dans un quasi oubli) : « La chambre obscure », film qui fascina quelques cinéphiles et connaisseurs avertis.
L'auteure reconstruit toute l'histoire de Lila Beaulieu à rebours de cette fin misérable et repoussante en mettant en scène tous ceux qui l'ont connue en tant qu'admirateurs mais aussi tous ceux qui ont vécu auprès d'elle (maris, amants, enfants...) et qui retracent , en leur propres nom et en fonction de leur propre expérience, leurs rapports très compliqués avec Lila. C'est même l'essentiel de ce livre que j'ai un peu trop caricaturé et réduit à ce qu'il n'est pas complètement un peu plus haut, loin de là...
Bouquin assez étrange et fascinant : « Pour que rien ne s'efface » de Catherine Locandro.
#333 Le 09/07/2017, à 17:09
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
« Petit Traité de l'Abandon » d'Alexandre Jollien. Ecrivain et philosophe né avec une infirmité motrice cérébrale. Lu dans la journée, un chouette petit libre avec de chouettes pensées très profondes, toutes à la recherche d'une vraie liberté intérieure.
https://www.alexandre-jollien.ch/oeuvre … -labandon/
Un de ses témoignages vidéo : http://www.dailymotion.com/video/x29y23v
Edit : c'était un début de soirée de l'hiver dernier, je l'ai vu et entendu intervenir à la médiathèque de Biarritz au cours d'une causerie philo animée par deux profs de philo d'un lycée biarrot auprès de leurs élèves de terminale, il était vraiment pertinent. Un vrai combattant qui doit lutter jour et nuit contre son handicap et qui parvient (parfois) à le surmonter et à le dépasser grâce à la philosophie, grâce à sa famille, son épouse, ses enfants mais aussi certaines de ses rencontres sans oublier... son admiration pour certains grands maîtres de la spiritualité qu'il cite souvent et qui l'ont beaucoup marqué.
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 09/07/2017, à 17:18)
#334 Le 23/07/2017, à 05:22
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
« Je dois créer un système, ou être l'esclave de celui d'un autre. » Cette citation de William Blake mise en exergue par l'auteur au début de son livre pourrait le résumer à elle toute seule.
Le décor du livre essentiellement retenu par l'auteur : Miami (Floride), son chaud soleil, ses salles de fitness et ses corps bodybuildés, bref : tout dans le culte de l'apparence de soi.
Voici Lucy, une jeune femme bi-sexuelle, obsédée de forme physique qui passe ses journées à sculpter ses formes en adoptant un régime nutritionnel drastique. Elle est coach à Miami et tout indique en elle le portrait de la parfaite dominatrice qui tient à imposer à ses clientes des séances de tortures quotidiennes pour éliminer leurs kilos en trop. Pourquoi une telle obsession d'ailleurs ? Qu'est-ce que cela cache, au fond ? Lucy est aussi une adepte des sports de combats et la voici neutralisant un taré qui s'apprêtait à faire feu sur deux hommes en fuite. Mais la scène étant filmée par une certaine Léna qui la refile aux chaînes locales, voici que Lucy devient l'héroïne du moment poursuivie par une flopée de paparazzi qui lui gâchent la vie tandis qu'on lui fait des propositions d'émissions de télé réalité.
Entre Lucy (la bodybuilée) et Léna (la grosse conne mais pas que) se noue alors une étrange relation dominante/dominée à partir du moment où Lucy devient la coach de Léna et qu'elle se fait un devoir de la faire maigrir. Cela va même très loin le jour où Lucy décide de séquestrer Léna contre son gré dans des conditions abjectes et totalement fascistes en la nourrissant elle-même selon le régime nutritionnel qui devra la faire maigrir.
Mais au fil des presque 500 pages du livre, on apprend à découvrir l'histoire de Léna, (la grosse conne mais pas que) et de son redoutable talent d'artiste. Petit à petit, les rapports s'inversent, et Léna va finir, dans un incroyable retournement de situation, par se venger – mais pas que- du traitement inhumain que vient de lui faire subir son coach je ne vous raconte pas comment mais ça va très loin !
Style vraiment cru et décapant (pour Lucy, affamée de sexe, une chatte est une chatte, une bite est une bite). Chaque personnage s'exprime à son tour, développe son propre point de vue et sa propre vision des choses, y compris sous la forme brute de courriels.
J'ai beaucoup ri (surtout durant la première moitié du livre) tant le style est décapant même si j'ai failli stopper au moment des conditions de la séquestration fasciste que j'ai trouvées proprement... crades !
Pourtant, même si elle me paraît un peu bâclée, la fin réserve quelques surprises car Lucy et Léna étaient décidément faites pour se rencontrer !
Je n'ai pas sauté une seule des presque 500 pages et je vais avoir du mal à trouver un roman aussi captivant qui pourra me faire oublier celui-ci !
« La vie sexuelle des sœurs siamoises » de Irvine Welsh, l'auteur, entre autres, de Transpotting et de Transpotting 2 qui ont été adaptés au cinéma par David Boyle en 1996 et 2017
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 23/07/2017, à 14:38)
#335 Le 02/08/2017, à 18:13
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
« Migrants & Réfugiés Réponses aux indécis aux inquiets et aux réticents » de Claire Rodier. (avec la collaboration de Catherine Portevin)
Un petit livre vraiment précieux, qui se lit en une ou deux heures (90 pages) qui pose toutes les questions gênées et gênantes que l'on a du mal parfois à formuler et qui donne des réponses concrètes et sans langue de bois à ce sujet ultra sensible.
Le livre est divisé en 22 petits chapitres d'une ou deux pages, chaque chapitre posant une question précise (ex : Migrants, réfugiés, quelle est la différence ? / Comment savoir s'ils fuient pour des rasions économiques ou politiques ? / Les migrants peuvent-ils choisir le pays européen où ils veulent aller ? / Qu'est-ce que l'espace Schengen ? A quoi sert-il ? Faut-il le supprimer ? / Quel est le coût de la surveillance des frontières européennes ? / Que les migrants soient majoritairement arabes et musulmans ne pose-t-il pas un problème supplémentaire pour nos sociétés ? Ne devrait-on pas plutôt les aider à rester chez eux ? Etc...)
Les réponses apportées tiennent évidemment compte des structures et lois européennes en matière d'immigration (un petit glossaire à la fin rappelle certaines définitions comme Dublin III, Eurosur, Eurostat, Frontex etc...) mais mettent aussi en perspective toutes les contradictions et les limites des pratiques sur le terrain et proposent des pistes de réflexion sur le long terme.
Plusieurs de ces réflexions méritent d'être soulignées. Exemple sur le coût de la surveillance des frontières et celui des reconduites = 13 milliards d'euros depuis le début des années 2000 et qui n'empêche pas un flot d'arrivées toujours renouvelées. Dans le même temps , la somme que les migrants ont dépensée eux-mêmes pour parvenir à entrer (souvent sans succès) = 15 milliards d'euros.
En mettant ces deux chiffres en balance et qui croissent en miroir l'un de l'autre, l'auteure se demande ce que l'on pourrait faire de mieux avec cet argent si nous étions dans une logique d'intégration plutôt que de rejet.
Car il est évident, pour le moment, qu'à l'exception de quelques rares pays d'Europe (comme la Suède et l'Allemagne) tout est fait, et de manière sournoise et hypocrite derrière le paravent de la Convention de Genève sur les réfugiés – pourtant déjà concrètement reniée dans les faits avec la transaction rémunérée entre l'UE et la Turquie afin "qu'elle les garde » - donc tout est fait pour qu'ils « disparaissent ».
Le souci c'est que non seulement « ils ne disparaissent pas » mais que le phénomène va aller en s'accroissant et qu'il paraît irréversible.
Sur la question aussi de l'aide au développement pour « les aider à rester chez eux » une réponse bien documentée démonte une idée fausse : contrairement à ce que l'on croit en général, l'aide au développement dans ces pays, en augmentant les niveaux de vie et le niveau d'instruction encourage bien au contraire l'envie et les moyens d'aller voir ailleurs.
Sans oublier que l'argent investi dans ces pays revient souvent au bénéfice d'entreprise européennes, donc oui il y a de l'argent qui circule mais « entre soi ». Et quid des pots-de-vin versés aux dirigeants locaux, quid de la corruption généralisée dans ces pays-là ?
Un pays d'Europe semble l'avoir compris avant tous les autres : plutôt que de gaspiller son argent dans l'aide au développement la Suède a annoncé qu'elle retirait une partie de sa quote-part d'aide au développement à l'accueil des migrants sur son propre territoire, considérant de manière naturelle et pragmatique que c'était au fond « la même chose » mais qu'elle estimait ainsi mieux gérer cette aide elle-même.
Un petit livre qui nous aide à réfléchir aussi quand l'auteur écrit ceci dans l'avant-dernier chapitre :
« Revenons à ce rester chez eux. » N'est-ce pas aussi une manière de dire : « Surtout pas chez moi » ? On ne leur souhaite pas de mal mais on voudrait bien être débarrassés de ces gêneurs. Autrement dit, c'est une vision autocentrée de ce qui est bon et bien. Car dans le « chez eux », on oublie que, justement, il n'existe plus pour eux comme « chez soi », puisqu'ils ont été obligés d'en partir. Etre bien chez soi est un objectif humain, certainement partagé par tous, mais ce qui fait le « bien être chez soi » est précisément de pouvoir y être ou pas, d'avoir le choix d'en partir quand on veut et d'y revenir. Derrière l'idée d'aider les gens à rester chez eux, il n'y a pas tant le souhait qu'ils puissent y rester mais qu'ils doivent y rester. Ce qui est une autre forme d'assignation à résidence. Plutôt qu'un monde du « chacun chez soi », mieux vaudrait rêver d'un monde du « chacun sa place. »
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 02/08/2017, à 18:19)
#336 Le 04/08/2017, à 06:16
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
« La patience des buffles sous la pluie » de David Thomas.
Encore un petit livre qui peut se déguster comme un rapide rosé d'été (150 pages seulement ) d'autant plus qu'il est constitué de 69 textes courts d'une ou deux pages dans lesquels l'auteur met en scène des personnages différents, hommes ou femmes, qui s'adressent à nous sur des tons différents, parfois graves et profonds, parfois très drôles et pleins d'humour. Les thèmes aussi sont variés et on passe sans transition des plus quotidiens et banals (comme l'envie insatisfaite de baiser d'une manière animale) aux plus profonds (comme celui sur l'ennui qui arrive).
Ce n'est pas toujours égal à mon avis mais quand ça marque, ça marque parce que c'est direct et sans détours.
Donc sur l'ennui : « La splendeur de l'ennui »
Je suis quelqu'un qui s'ennuie souvent. Et je cultive cet ennui comme on entretient un corps d'athlète. J'essaie tous les jours de m'ennuyer un peu. Je m'octroie quotidiennement cette gymnastique de l'immobilité. Je veille à ce que mon ennui ne soit entravé par aucun désir, et que rien ni personne ne le perturbent.
Je peux rester chez moi plusieurs jours sans rien faire et, parfois, j'atteins cette splendeur extatique que doivent ressentir certains moines concentrés dans leur prière. Je n'ai jamais eu autant la sensation de vivre que lorsque je m'ennuie. Mon inaction me positionne alors pleinement dans le monde. Je prends conscience de ma place ici-bas. Une micro-place, comme celle de n'importe qui, mais une place quand même.
Parfois je rêve de pulvériser pour des siècles le record de l'ennui. Ne rien faire, ne rien projeter dans l'avenir et attendre la mort comme on attend l'autobus, en pensant à autre chose. Je m'imagine très bien vivre nu au fond d'une vallée, ou le plus anonymement possible, dans une maison de ville, ou au bord d'une plage chilienne ou sur une dune du Kalahari, peu importe, et ne m'exprimer qu'en dilatant mes narines, en clignant de l'oeil ou en lâchant quelques petits pets secs et explicites.
Être là, un point c'est tout, sans avoir à justifier mon existence par des paroles et des actes.
En passant aussi rapidement d'un mini récit à l'autre et d'un personnage à un autre, on a l'impression d'une mosaïque de tranches de vie toutes différentes les unes des autres mais d'une mosaïque qui dessine au fond la vie elle-même à travers nos propres vies.
#337 Le 13/08/2017, à 05:55
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Après 268 pages de lecture, Lil demeure toujours un mystère pour moi. « Le cri » de Thierry Vila. Mais il n'y a pas que ça dans ce bouquin remarquablement écrit et pensé...
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 13/08/2017, à 06:46)
#338 Le 13/08/2017, à 06:53
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Je commence le tout récemment sorti "Born To Run" de Bruce Springsteen. Là encore un ouvrage fort bien écrit et pensé. Ce qui m'épate dans la première centaine de pages que j'ai lues (il y en a plus de 600 au total ! ) c'est l'incroyable précision des souvenirs d'enfance puis d'adolescence de Bruce en ce qui concerne ses liens familiaux bien sûr mais aussi ses tout premiers débuts musicaux, les noms de tous les potes de passage avec lesquels il a débutés, la description précise des premiers lieux de concerts, des toutes premières chansons qu'il reprenait dans ses premiers groupes, une mine de détails restitués de manière incroyablement précise, ce type a une mémoire d'éléphant.
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 13/08/2017, à 07:52)
#339 Le 16/08/2017, à 07:56
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
"Je danse donc j'existe" de Catherine Maillard. Passionnant tout simplement. Je l'ai emprunté en médiathèque et je viens de le commander sur internet.
#340 Le 16/08/2017, à 08:04
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Pour ceux qui s'intéresserait de loin (ou d'un peu plus près) à la méditation, un petit ouvrage vraiment précieux : "L'art de la méditation" de Matthieu Ricard. Il s'adresse dans un langage simple et clair aux débutants mais pas que : il permet assez vite d'aller plus loin.
https://www.senscritique.com/livre/L_Ar … ion/115138
Edit : un conseil tout de même pour bien débuter en méditation = s'offrir d'abord un apprentissage en groupe avec une personne qualifiée. Et ensuite, la mettre en pratique, chez soi, dans sa vie quotidienne, selon ses besoins et ses possibilités., juste pour se ménager un nouveau petit mais précieux moment d'hygiène de vie.
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 16/08/2017, à 08:32)
#341 Le 23/08/2017, à 08:33
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
« La montagne en partage » de Sébastien Figliolini
L'auteur retrace tout un pan de sa carrière de passionné de la montagne, de ses débuts en matière de ski alpin dans les années 90 en passant par ses compétitions en duo dans la Pierra Menta : alors là le chemin vers une première victoire a été long, très long et dur très dur.
Puis il y a ces expéditions vers quelques sommets mythiques comme le Mont Mac Kinley mais aussi et surtout : vers l'incontournable Everest. Là le récit se transforme en épopée avec de nombreux rebondissements tant cette expédition demande de préparations épuisantes, tant elle réserve de surprises aussi et de déconvenues suivies de découragement, tant elle peut être mortelle, physiquement et moralement.
J'ai bien aimé. Encore une facile mais stimulante lecture d'été !
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 23/08/2017, à 08:33)
#342 Le 25/08/2017, à 01:08
- Coline
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Bonsoir à tous,
je découvre ce sujet : très intéressant, merci !
Je reviendrai pour prendre des notes !
(Tout de suite, suis trop plongée dans des trucs techniques pour partager quoi que ce soit de sympa !)
Bonne continuation, et bonnes lectures !
Débutante avec Linux : merci de votre aide indulgente !
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#343 Le 25/08/2017, à 16:48
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Merci pour ton retour mais ne te contente pas de prendre des notes : tes propres lectures peuvent intéresser ici !
#344 Le 05/09/2017, à 16:48
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Le cadre du livre : un gymnase d'entraînement de banlieue au nom magique : « les Gants d'Or ».
Le maître d'oeuvre du lieu à la figure de père des tous ces jeunes, respecté de tous (mais aussi redouté de tous par ses exigences mais aussi la pertinence de ses expertises) l'entraîneur : Luis, exilé politique ayant fui le Chili puis l'Argentine de la dictature.
Les acteurs : des jeunes, de 20 à 30 ans environ, tous issus de l'immigration, ayant clairement une conscience de classe en tant que discriminés et ostracisés en France, tous en quête de sens et d'estime d'eux-mêmes. Mais aussi Jérôme, l'auteur en position d'enquêteur dissimulé sous l'apparence d'un futur boxeur. Il partage avec ses pairs les séances inhumaines d'entraînement mais aussi, en spectateur alors, les combats d'amateurs ou de pros: tout est remarquablement décrit parce que vécu. Et il n'y est pas tant question de violence (au sens où on l'entend généralement quand on se sent rebuté par ce sport) que de toutes autres sortes de combats plus intimes tournant autour de la notion de résistance.
Un jour, Jérôme décide de tomber le masque : c'est en fait un sociologue de haut vol qui est le premier à travailler sur l'expérience pugilistique en France. Il est pourtant aussitôt accepté par Luis et ses camarades apprentis ou confirmés. Son combat, vécu donc de l'intérieur, est dont de retracer les itinéraires de ses camarades d'entraînement mais aussi leurs confidences sans fard qu'il transcrit dans leur langage propre. Heureusement d'ailleurs car le livre est souvent empreint d'une phraséologie et de références sociologiques pas toujours faciles à digérer.
En fait, il faut considérer « L'empreinte du poing, la boxe, le gymnase et leurs hommes » de Jérôme Beauchez comme une vraie thèse de sociologie, d'où l'aridité de la lecture.
N'empêche : même s'il m'est arrivé plus d'une fois d'être rebuté par le style et le vocabulaire adoptés par l'auteur, j'ai accroché et j'ai été marqué par ce travail remarquable qui nous plonge tout au cœur d'un univers poignant car, boxe ou pas boxe, la plupart de ces jeune gars ne s'en sortiront pas et retomberont dans leurs pires travers.
Et s'il y a une chose dont on peut être sûr en refermant ce livre c'est que la soi-disante « intégration par le sport » c'est bien du pipeau !
Total respect.
#345 Le 07/09/2017, à 07:21
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Je l'avais déjà évoqué juste un peu plus haut .
Bon, terminé hier « Born To Run » (plus de 600 pages ! ) : oui c'est toute une odyssée, celle de Bruce, bien sûr mais aussi celle de son fameux groupe. En dehors de tout ce qui concerne la route vers le succès et des rapports étroits avec chacun des membres du E-Street, on y découvre toute la "face B" de l'homme que personnellement j'ignorais totalement, un Bruce intime en proie à de nombreux démons intérieurs dus – non pas à la consommation de drogues qui ne l'ont jamais tenté- mais à ses héritages caractériels familiaux très lourds. Et notamment tout ceux ceux hérités de son père, un père étrange, déprimé pathologique, raté social, solitaire et misanthrope, créant le vide autour de lui et imposant un climat familial de dépit et d'hostilité passive : toutes choses dont Bruce, une fois adulte, refera circuler le poison en étant infect avec tous ceux -et celles- qui oseraient l'aimer. Bruce parle aussi sans détours de ses périodes de profondes dépressions pathologiques avec crises de larmes incessantes, de son recours à des analyses psy, de sa lucidité sur ses véritables capacités de musicien et de chanteur.
A propos de ma voix. Soyons clairs : je n'en ai pas vraiment. J'ai la puissance, la tessiture et la résistance d'un barman, mais je n'ai ni une belle couleur ni une finesse vocale particulière.
Mais s'il est lucide sur ses limites, il l'est aussi sur ses capacités. Plus loin, il précise que cette voix a quand même une forte capacité à émouvoir parce qu'il s'implique totalement dans son chant, qu'il est le plein auteur de ses chansons et que tout est lié.
Et c'est vrai : en lisant ce livre, je me suis replongé dans de nombreuses de ses chansons à côté desquelles j'étais complètement passé et rien qu'en les écoutant sans même chercher à en comprendre les textes (pourtant primordiaux) et bien la seule sincérité de cette voix faisait vibrer quelque chose en moi.
Il y a aussi de l'humour et même pas mal d'humour dans ce livre : notamment lorsque Bruce raconte comment son père, vieux prolétaire raté et déprimé qui n'a jamais été un pêcheur patenté, dans un bref moment de réconciliation, l'invite « à ses frais » à une sortie en pêche au large du Mexique alors que lui est déjà une rock star et qu'il est plein aux as et qu'ils auraient pu se payer un yacht. Non mais là on croit revivre « Le vieil homme et la mer » d'Hemingway avec les moyens locaux du bord ! Car quand Bruce arrive devant ce rafiot improbable loué par son père, avec deux mexicains improbables sortis des collines avoisinantes qui ont l'air de marins comme moi je suis architecte, faut voir la gueule qu'il fait ! C'est vraiment très drôle cette séquence : Bruce pense qu'ils n'en reviendront pas vivants !
Beaucoup d'émotion aussi quand Bruce assiste à la fin de son fidèle saxophoniste des débuts Clarence Lemmons mais également au départ vers l'autre monde de nombreux de ses amis de jeunesse.
Beaucoup de sincérité aussi, tout le long de ces 600 pages, on peut pas dire. À tous ceux que le personnage scénique "Springsteen", les gros bras musclés, la grosse voix type "Born on The U.S.A" ont pu gonfler ( j'en fais partie), cet ouvrage peut constituer un précieux antidote.
Un truc m'a manqué quand même : c'est qu'en tant qu'auteur compositeur il passe vraiment trop rapidement sur l'exégèse de ses créations. Pour citer un exemple, il y a un de ses albums que j'ai chez moi et que je vénère, « Nébraska » : aussi improbable dans la lignée de ses créations que l'arrivée de « Yesterday » au sein des Beatles. Et bien il passe vraiment trop vite sur les chansons de cet album pas comme les autres, qui sont autant de perles en matière de petites rubriques sociales. J'aurais aimé savoir tant de choses sur leurs sources d'inspiration et comment Bruce les a conçues.
Cela dit, à mon avis, oui c'est un bon bouquin et au final je dirais que Bruce est bien un « good guy » du New Jersey d'autant plus qu'il n'hésite pas à nous révéler ses côtés les plus obscurs et les moins recommandables de « bad guy » toujours en lutte avec l'autre bord.
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 07/09/2017, à 08:14)
#346 Le 21/09/2017, à 06:47
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Le Livre Noir des Banques (Attac & Basta) : coût des banques pour la société, puissance phénoménales des lobbies bancaires nationaux et internationaux, main basse sur l'épargne réglementée, fraudes, mensonges, manipulations, pratiques illégales des banques, capture des pouvoirs politiques et administratifs par le système bancaire par collusion, pantouflage et consanguinité totale du monde de la finance et celui des hommes politiques (un chapitre remarquable que celui-là et qui montre qu'il n'y a rien à espérer) etc etc... tout y est avec une documentation et des références implacables.
Pourtant, il arrive que les banques passent à la caisse aussi : ainsi Bank of America a dû s'acquitter auprès des autorités de régulation US de la somme de 16 milliards de dollars pour son rôle dans la crise des subprimes en 2008. Oui, on a bien lu : 16 milliards de dollars ! Mais comment et d'où on peut sortir de pareilles sommes ! Le souci c'est qu'en acceptant de payer ces amendes, les banques anglo-saxonnes et européennes qui plaident coupables s'exonèrent ainsi de procès qui détermineraient les vraies responsabilités et les vrais responsables. Des procès qui devraient aussi prononcer les sanctions pénales adéquates devant aboutir à l'incarcération des coupables et au retrait des licences bancaires de ces banques coupables de pratiques qui ne sont rien d'autres que la pure délinquance et de la pure criminalité financières. Donc pas de procès, pas de coupables, on s'acquitte d'une amende même exorbitante mais... on continue tranquilles. En face, dans la rue, le black qui vole une orange à un étal et qui se fait pincer se retrouve aussi sec jugé, condamné et en taule.
On referme ce livre effondré parce qu'on sait bien qu'il n'y a strictement rien à espérer que tout cela change. Ce serait comme vouloir araser un Himalaya. À part quelques retouches cosmétiques (co-rédigées par le lobby bancaire lui-même! LOL) rien n'a été fait depuis la dernière crise pour nous épargner une nouvelle crise du système financier international. Parce que le monde politique est totalement complice du monde bancaire. Circulez, on « fait le job », tout va bien, y a rien à voir.
Un bouquin essentiel qui plonge dans la colère.
Une erreur à ne pas commettre quand même en refermant ce livre : aller vous en prendre aux employés qui travaillent à votre agence bancaire du coin. Ils n'ont strictement rien à voir avec tout ça, ce sont les OS sous-payés du système et ils ont en plus tout à craindre sur la pérennité de leurs fragiles emplois (concurrence des banques qui se développent sur Internet etc...)
Edit : ça peut rapporter gros d'oeuvrer pour le système financier quand on a été Président =
Le 44e président des Etats-Unis s'est fait payer 400.000 dollars pour une conférence auprès de clients d'une banque de Wall Street.
http://www.europe1.fr/international/eta … es-3441065
Dernière modification par Compte anonymisé (Le 21/09/2017, à 08:53)
#347 Le 02/10/2017, à 07:10
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Ce bouquin est exceptionnel d'abord parce que son auteur américain est exceptionnel.
On est dans les années 40. Issu d'un foyer blanc brisé : père machiniste occasionnel dans les studios d'Hollywood devenu alcoolique, mère danseuse professionnelle. Victimes de la Grande Dépression, les parents divorcent et le môme est livré très tôt à lui-même passant de foyer d'adoption en écoles militaires où un trait de caractère s'affirme chez lui : refus total de toute autorité et haine féroce de la société « normalisée ».
Il s'échappe de tous ces asiles et devient un jeune délinquant. Allez faire un tour dans Wikipedia et vous verrez que c'est un criminel dès son plus jeune âge. Mais il est à chaque fois rattrapé et passe de prison en prison. Dont une très connue : Saint Quentin en Californie.
Il s'en s'évade à deux reprises. Pour redevenir ce qu'il est et qu'il assume complètement : un tout jeune criminel. Trafic de drogue, cambriolages, attaques à main armée. Puis nouvelles arrestation et retour à la case départ. Alors qu'il est encore mineur, le voilà plongé dans un monde de criminels adultes renommés dont certains attendent la chaise électrique ou la chambre à gaz.
Et ce n'est pas tout : en prison, il appartient à l'Aryan Brotherhood (cherchez où vous voudrez l'appellation et vous verrez qu'il s'agit d'une drôle de fraternité entre criminels blancs, coupable de nombreux meurtres en prison. ).
Mais ce gars n'est pas tout à fait comme ses semblables. Il aime lire et c'est en prison qu'il découvre la grande littérature (Hemingway, Faulkner, Thomas Wolfe etc...) jusqu'à torcher 4 à 5 livres par semaine, ça va être sa chance !
Et puis autre chose : une visiteuse qui s'est prise d'amitié durant une brève période de liberté conditionnelle et lui apporte une machine à écrire en prison !
Alors ce jeune incarcéré commence à taper toutes sortes d'écrits (articles de journaux mais aussi ses premières tentatives inabouties de romans). Il a manifestement un don pour ça et c'est ce qui va lui permettre de survivre et de devenir un authentique écrivain parvenant à créer une authentique littérature à partir de son expérience de criminel et de prisonnier.
Il en sort ce bouquin incomparable qui m'est tombé entre les mains il y a quelques jours mais qui m'est aussi tombé des mains à plusieurs reprises tant c'est fort parce que rédigé à la Kalach : là, pas de bla bla, pas de « littérature », du vécu, rien que du vécu mis en scène avec des dons d'observation exceptionnels et une mémoire incomparable des faits.
On est plongé dans un univers impitoyable de bête traquée qui commet ses braquages et ses meurtres sans état d'âme, qui ne fait confiance à personne à l'exception très provisoire de deux ou trois potes connus en prison, qui sont ses complices occasionnels mais dont il sait que si ils sont arrêtés, ils seront « retournés » par la police et qu'ils parleront en échange de quelques remises de peine ou autre...
C'est passionnant de la première page à la toute dernière et si vous êtes en manque d'un bouquin qui est autre chose qu'un simple polar, plongez-vous donc dans « Aucune bête aussi féroce » d'Edward Bunker. Vous n'en sortirez pas indemnes ! Car c'est vrai : aucune bête ne peut être aussi féroce que ce criminel atteignant quand même une forme de rédemption par l'écriture.
#348 Le 11/10/2017, à 08:08
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
« L'Éthique » de Baruch Spinoza.
Impossible à résumer bien sûr. 15 mois de lectures à doses homéopathiques bien sûr, de marches-avant, suivies d'importantes marches-arrière, avec des moments de franche fascination suivis de moments de découragements, d'exaspération et de colères aussi (notamment dans la partie V) mais vite effacées par le fait que l'on peut saisir les choses autrement et qu'il y a... tout le reste !
En terminant la lecture des dernières pages ce matin, je me dis qu'on ne termine jamais la lecture d'un tel livre et qu'il faudra sans cesse recommencer.
Un conseil pour ceux qui seraient tentés : lire « l'Éthique » en alternance avec les « Lettres » dans lesquelles Spinoza dialogue avec quelques amis qui le questionnent sur le sens à donner à tel ou tel passage. Spinoza répond volontiers à toutes ces demandes même si on sent qu'il n'est pas toujours bon pédagogue et que ça l'énerve passablement parfois d'avoir à « rendre des comptes ». Pas toujours si sage que ça le « Sage » !
Autre conseil ne pas commencer l' « Éthique » sans avoir un minimum exploré l'excellent hors-série n° 29 de Philosophie Magazine consacré à Spinoza et intitulé « Voir le monde autrement ». On y trouve d'excellents articles de contributeurs à cet hors-série (comme Baptiste Morizot, Maxime Rovère, Chantal Jaquet, Frédéric Lordon etc etc...) qui ont lu l' « Éthique », qui ont étudié la pensée de Spinoza et qui nous mettent sacrément en appétit ! On y trouve aussi, pour celui qui s'apprête à attaquer cet Everest, d'excellents tableaux qui expliquent clairement les concepts spinoziens et l'architecture progressive de sa démarche de la Partie 1 à la Partie 5.
Mais pour rendre hommage à ce philosophe incontournable, je lui laisse la parole dans les toutes dernières lignes de cette œuvre majeure ( Scolie de la Proposition 42/ Partie 5) :
J'ai achevé ici ce que je voulais établir concernant la puissance de l'Âme sur les affections et la liberté de l'Âme. Il apparaît là combien vaut le Sage et combien il l'emporte en pouvoir sur l'ignorant conduit par le seul appétit sensuel. L'ignorant, outre qu'il est de beaucoup de manières ballotté par les causes extérieures et ne possède jamais le vrai contentement intérieur, est dans une inconscience presque complète de lui-même, de Dieu et des choses et, sitôt qu'il cesse de pâtir, il cesse aussi d'être.
Le Sage au contraire, considéré en cette qualité, ne connaît guère le trouble intérieur, mais ayant, par une certaine nécessité éternelle conscience de lui-même, de Dieu et des choses, ne cesse jamais d'être et possède le vrai contentement. Si la voie que j'ai montré qui y conduit, paraît être extrêmement ardue, encore y peut-on entrer. Et cela certes doit être ardu qui est trouvé si rarement. Comment serait-il possible, si le salut était sous la main et si l'on pouvait y parvenir sans grand peine, qu'il fût négligé par presque tous ? Mais tout ce qui est beau et difficile autant que rare.
#349 Le 23/10/2017, à 19:59
- godverdami
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
Pour se divertir, "Maudit Karma", un livre bien sympathique de David SAFIER qui est un écrivain allemand
Kim Lange est une femme comblée, animatrice télé, riche, vie de luxe, trompe son mari à tour de bras et puis un stupide accident la fait passer de vie à trépas....pour se retrouver réincarnée en fourmi.
Et là c'est la galère, elle se retrouve dans la société des fourmis, hyper hiérarchisée, à travailler toute la journée sous la coupe d'un chef qui l'engueule quand par exemple, elle n'a pas réussi à correctement sécuriser un haribo...etc... tout ça ponctué par des discussions avec Bouddha.
La conscience du monde est restée et elle n'aura de cesse que de tenter de faire capoter la drague qu'a entrepris son ancienne meilleure copine sur son mari devenu veuf.
Rires assurés car c'est truffé d'humour et je laisse à chacun le soin d'en tirer la substantifique moelle. Mais après lecture du livre, vous réfléchirez à 2 fois avant d'écraser une fourmi
Dernière modification par godverdami (Le 23/10/2017, à 20:04)
#350 Le 03/11/2017, à 10:12
- Compte anonymisé
Re : Qu'est-ce que tu lis en ce moment...?
« La société du spectacle » (Guy Debord)
Le livre est divisé en 9 chapitres réunissant 221 courts paragraphes à très hauts niveaux conceptuels.
La société du spectacle dans laquelle nous sommes enlisés jusqu' au cou (et dans laquelle nous sommes tous à la fois victimes et acteurs) est analysée ici avec une pertinence constante, une grande profondeur dans une perspective historique reculée mais aussi contemporaine, avec même quelques accents de prescience pour un ouvrage rédigé en 1967. L'auteur décrit bien toutes les formes d'aliénation qu'elle génère au cœur même de l'homme moderne quand le spectacle finit par devenir la réalité même et que la réalité devient elle-même spectacle (et là Guy Debord -qui rédige donc ce livre en 1967- semble déjà avoir l'intuition des émissions de « télé-réalité » de notre époque).
Par ailleurs, la lucidité et l'exigence critiques de l'auteur vont très loin quand il affirme que la critique du spectacle peut elle-même tomber dans un piège :
Pour décrire le spectacle, sa formation, ses fonctions, et les forces qui tendent à sa dissolution, il faut distinguer artificiellement des éléments inséparables. En analysant le spectacle, on parle dans une certaine mesure le langage même du spectacle, en ceci que l'on passe sur le terrain méthodologique de cette société qui s'exprime dans le spectacle. Mais le spectacle n'est rien d'autre que le sens de la pratique totale d'une formation économico-sociale, son emploi du temps. C'est le moment historique qui nous contient.
(Et là on pourrait penser aux limites d'une émission comme « Arrêts sur Images » -et à un autre niveau bien plus bas- à « Touche pas à mon poste » de Cyril Hanouna)
Par ailleurs, pour l'auteur, clairement, les maîtres de cette société du spectacle sont issus de la bourgeoisie = " la seule classe révolutionnaire qui ait jamais vaincu, en même temps qu'elle est la seule pour qui le développement de l'économie a été cause et conséquence de sa mainmise sur la société. » Démonstration faite dans le chapitre IV intitulé « Le Prolétariat comme sujet et comme représentation. »
On ne ressort pas indemne d'une lecture pareille tant le constat est accablant et nous ramène à réfléchir sur nos propres comportements aliénés dans notre besoin constant et sans cesse renouvelé de spectacles et de divertissements au sens les plus larges du terme. Et ce, d'autant plus avec les moyens modernes de diffusion et de transmission des images et des infos, sans oublier la puissance des réseaux sociaux où on est plus souvent spectateurs qu'acteurs et qui nous mettent, au fond, à la porte de nous-mêmes.
Comme autre côté de la déficience de la vie historique générale, la vie individuelle n'a pas encore d'histoire. Les pseudo-événements qui se pressent dans la dramatisation spectaculaire n'ont pas été vécus par ceux qui en sont informés ; et de plus ils se perdent dans l'inflation de leur remplacement précipité, à chaque pulsion de la machinerie spectaculaire.
... Ce qui peut faire penser aux nouvelles chaînes télé d'info en continu, à Tweeter etc...
En arrivant à la fin du livre, on aimerait quand même bien que l'auteur nous donne des perspectives possibles de sortie de ce doux cauchemar éveillé. Mais ce n'est pas son sujet ni son projet. Par contre, il affirme clairement ceci dans une préface rédigée en 1992 : « Il faut lire ce livre en considérant qu'il a été sciemment écrit dans l'intention de nuire à la société spectaculaire. » Et ça, on peut dire qu'il le fait fort bien !
Edit : l'ouvrage est extrêmement difficile d'accès ce qui en rend la compréhension pas facile du tout, le plus souvent. Mais il est essentiel et la prise de tête, à mon avis, vaut le coup même si on peut trouver qu'il y a pas mal de redites ou de déclinaisons d'une même démarche faite sur des modes et des approches varié(e)s. Donc à lire en prenant le temps sur des semaines (pour ne pas dire des mois) et à doses homéopathiques. Pour être honnête, j'ai carrément calé sur la compréhension de certains paragraphes. Donc si quelqu'un l'a lu en « mode actif » (comme j'ai essayé de le faire), en éprouvant les mêmes difficultés, ça serait sympa de pouvoir échanger entre nous pour mieux éclairer nos lanternes respectives. Car c'est vraiment le genre de bouquin dont on peut avoir envie de discuter après l'avoir lu. On ne peut pas le refermer comme ça.